Le contenu du contrat depuis la réforme

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La réforme c’est avant toute chose la symbolique disparition de la cause, les textes nouveaux se sont évertués à reprendre les solutions antérieures. C’est la raison pour laquelle les articles 1162 et suivants paraissent familiers s’ils sont lus après un rappel du droit antérieur. On peut dire que les textes nouveaux posent trois conditions au sujet du contenu du contrat : qu’il soit licite, qu’il soit possible et déterminé et, dans certains contrats, qu’il soit équilibré.

La licéité du contrat

Article 1162 : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties »

Cette disposition remplace en quelque sorte les exigences antérieures de licéité de l’objet et de la cause. Au fond, cela ne change rien, on remarque d’ailleurs que l’extension du champ de la nullité résultant de l’arrêt du 7 octobre 1998 de la cour de cassation a été consacrée dans les textes.

La possibilité et la détermination du contenu du contrat

Cette exigence est posée par les articles 1163 à 1167. L’article 1163, tout particulièrement, porte que, dans alinéa 2 « Celle-ci (la prestation qui sert d’objet au contrat) doit être possible et déterminée ou déterminable ».

S’agissant de la condition de possibilité, elle se rapporte évidemment à l’objet. Elle est nouvelle en la forme mais nous savons qu’il était déjà habituel de considérer que la possibilité de l’objet était une condition de validité avant la réforme. Les textes ne contiennent aucune précision relativement à cette condition. Ils portent tous en réalité sur la seconde exigence : la détermination de l’objet. S’agissant précisément de la détermination de l’objet, elle donne lieu à plusieurs précisions.

Tout d’abord : l’exigence de détermination est posée pour toutes les obligations (y compris semble-t-il pour le prix). A vrai dire, ce qui est exigé ce n’est pas une détermination absolue. L’article 1163 indique que la prestation doit être « déterminée ou déterminable ». Dans son alinéa 3, il précise ce qu’il faut entendre par prestation déterminable : « La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire ». Le sens de la formule n’est pas aussi clair qu’on pourrait le souhaiter. Mais il y a lieu d’entendre, semble-t-il que la prestation doit être déterminable objectivement.

Ensuite, la détermination du prix fait l’objet de précision, mais uniquement dans deux catégories de contrats : les contrats cadre et les contrats de prestation de service.

S’agissant des premiers, l’article 1164 dispose « Dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation (al. 1). En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat (al. 2) ». On aura reconnu la parenté avec les arrêts d’Assemblée plénière du 1er décembre 1995.

S’agissant des contrats de prestation de service, l’article 1165 dispose : « Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation (al. 1). En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat (al. 2) .

Le lien est évident avec la jurisprudence antérieure relative aux contrats d’entreprise et au mandat. Cependant, c’est l’appellation (peu usuelle) de contrat de prestation de service qui a été retenue. Par ailleurs, le pouvoir du juge de réviser le prix convenu n’est pas évoqué. Subsiste-t-il ?

Ensuite encore, il a été introduit dans les dispositions sur le contenu du contrat un article relatif à la qualité de la prestation. Il s’agit de l’article 1166, aux termes duquel, « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ». Auparavant, c’est un texte relatif au paiement qui prévoyait une règle voisine. Encore la solution était-elle quelque peu différente dans son contenu et dans son domaine. L’ancien article 1246 disposait en effet que lorsque la dette est d’une chose qui n’est déterminée que par son espèce, le débiteur, pour se libérer, n’est pas tenu d’en donner une de la meilleure espèce, mais ne peut en donner une de la plus mauvaise. Désormais, la règle est applicable à toutes les obligations (et non seulement à celles qui portent sur une chose de genre) et prévoit qu’il faut tenir compte des attentes légitimes des parties.

Enfin, l’article 1167 pourvoit au cas dans lequel le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a disparu. Dans ce cas, comme cela était admis avant, il y a lieu de remplacer l’indice choisi par celui qui s’en rapproche le plus (cela évite que l’obligation devienne caduque).

L’équilibre du contrat

On peut dire des articles 1168 à 1171 qu’ils sont relatifs à l’équilibre des prestations, au sens large. Avant la réforme, cet équilibre n’était pas requis. Du moins le déséquilibre n’était pas une cause de nullité des conventions. Ainsi la « lésion » n’était-elle pas une cause de nullité des conventions (ancien article 1118). La règle a été reprise à l’article 1168. Elle continue à servir de principe cardinal : « Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ». C’est cette règle qui explique, en autres choses, que l’erreur sur la valeur ne soit pas une cause de nullité des conventions. Il y est porté exception dans certains cas, prévus par la loi.

Quoi qu’il en soit, nous savons aussi que le déséquilibre total entre les prestations était sanctionné, sur le fondement de l’absence de cause (ancien article 1131). Un contrat était nul si la cause de l’engagement de l’une des parties faisait totalement défaut. L’article 1169 reprend en grande partie cette solution, sans plus nommer la cause. Ce texte dispose : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». La référence à « la contrepartie convenue » est bienvenue. C’est en effet la meilleure définition qu’on ait trouvé de la cause. De même, le fait de viser la contrepartie « illusoire ou dérisoire » est plutôt bienvenu. Outre l’élégance de la formule, c’est un moyen de dire, un peu mieux qu’avant, ce qui justifie l’annulation : le fait que la contrepartie n’existe pas du tout (elle est « illusoire » ; le mot implique une erreur sur la cause) ou est tellement faible qu’elle peut être tenue pour inexistante (elle est « dérisoire »).

Pourquoi les « contrats à titre onéreux » sont-ils seuls visés ? Parce que, sans doute, on a pensé en premier lieu à l’absence de cause ou à la fausse cause dans les contrats synallagmatiques à titre onéreux, dans lesquels l’obligation de l’une des parties est la cause de l’obligation de l’autre. Pour les contrats à titre gratuit (ou plus précisément pour les libéralités), nous le savons, le contrôle de l’existence de la cause, n’a de sens que si on sonde les motifs personnels, les mobiles propres à celui qui gratifie. Il s’agit alors d’annuler les contrats à titre gratuit dans lesquels le mobile qui a animé l’auteur de la gratification fait défaut. Cette solution demeure. Mais elle est désormais fondée sur l’erreur sur les motifs (article 1135 al. 2). Est-ce à dire que l’article 1169 permet d’assurer le maintien de toutes les solutions antérieures fondées sur l’absence de cause ? C’est l’intention des rédacteurs de l’ordonnance. Mais quid pourtant des contrats unilatéraux à titre onéreux (un cautionnement par ex., une promesse unilatérale) ? Quid également de la reconnaissance de dette ?

Au-delà du déséquilibre total, qui se traduit par l’absence totale de cause, peut-on sanctionner un déséquilibre plus ponctuel ou partiel, comme semblait l’admettre la jurisprudence antérieure, sur le fondement de la cause ? La réponse est affirmative.

• Tout d’abord, l’ordonnance a consacré la solution de l’arrêt Faurecia II à l’article 1170 : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

• Ensuite et surtout, l’ordonnance a consacré dans le Code civil une disposition sanctionnant le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à l’article 1171. La jurisprudence antérieure n’était pas allée jusque-là. En revanche, il existait plus dispositifs légaux spéciaux qui sanctionnaient déjà, chacun dans son domaine, de tels déséquilibres.

Dans les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel : il n’est pas rare que soient incluses des clauses qui préjudicient gravement aux intérêts du consommateur. C’est le déséquilibre de puissance économique et de compétence qui rend cette situation possible. Pour lutter contre ce phénomène, le droit de la consommation tient certaines clauses pour illicites : on parle de clauses abusives. Une première loi a été adoptée le 10 janvier 1978. Tenu de transposer une directive européenne du 5 avril 1993, le législateur est revenu sur sa copie par une loi du 1er février 1995, dont les textes sont aujourd’hui contenus aux articles L.212-1 et suivants du Code de la consommation (anc. art. L. 132-1 et s.). La réglementation des clauses abusives ne s’applique qu’aux contrats conclus entre, d’une part, un « non professionnel ou consommateur » et d’autre part, un « professionnel ». S’agissant du consommateur, la définition en est donnée par un article liminaire du Code de la consommation (introduit par la loi Hamon du 17 mars 2014) : « consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». S’agissant du non professionnel, le même article liminaire les définit comme : « non-professionnel : toute personne morale toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».

Sont considérées comme abusives les clauses qui « ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat ». Ce déséquilibre doit s’apprécier au regard de l’ensemble des clauses du contrat. Mais il est précisé que l’appréciation du caractère abusif ne porte pas sur « l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert », ce qui est une façon d’indiquer que la lésion ne peut être sanctionnée sur le terrain des clauses abusives (v. C. conso, art. L.212-1).

Le législateur de 1978 avait prévu que les clauses devaient être déclarées abusives par décret pour pouvoir être sanctionnées. Mais devant la frilosité du pouvoir règlementaire (un seul décret avait pendant longtemps été adopté (un autre ayant été annulé)), la Cour de cassation s’est reconnue en 1991 le pouvoir de déclarer elle-même abusive les clauses qui lui sont soumises et qui répondent à la définition générale de l’article L.212-1 du Code de la consommation. Le législateur de 1995 a reconduit ce système. Le pouvoir règlementaire pouvait donc toujours dresser des listes de clauses tenues pour abusives (après avis d’une commission ad hoc : la commission des clauses abusives). Il a fini par le faire. Désormais les articles R.212-1 et R. 212-2 du Code de la consommation contiennent une liste des clauses irréfragablement présumées abusives (connue sous le nom de liste noire) et des clauses simplement présumées abusives (liste grise). Lorsqu’une clause est reconnue abusive par décret ou par un juge, elle est réputée non écrite, ce qui signifie que le contrat subsiste en principe mais est purgé de la clause litigieuse.

Dans les relations entre professionnels : un système voisin a fait plus récemment son apparition (loi LME de 2008). Au titre des pratiques restrictives de concurrence, le Code de commerce dispose : Art. L. 442-6, I : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…)

De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Il n’est pas encore clair si ce texte peut être utilisé pour faire annuler une clause ou s’il n’est sanctionné que par la responsabilité du partenaire qui l’a introduite dans le contrat. Mais on constate quoi qu’il en soit une parenté avec le régime des clauses abusives dans les contrats entre professionnels et non professionnels ou consommateurs.

Dans ce contexte, il était prévisible que le déséquilibre significatif fasse son entrée dans le Code civil. L’ordonnance a voulu en faire une règle applicable à tous les contrats. Devant les craintes suscitées par une telle généralisation, les rédacteurs du texte ont finalement limité le dispositif aux contrats d’adhésion.

Ainsi l’article 1171 dispose-t-il : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

« L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

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