C’est une question avec un effet médiatique très fort mais également avec effet de masse du fait du nombre de licenciements en même temps. Pourtant les licenciements pour motif éco ne représentent qu’une très faible partie des cas de rupture des contrats de travail.
Histoire du licenciement économique
Le droit du Licenciement pour Motif Economique est assez récent : il a émergé avec les 1ers licenciements économiques massifs au début des années 70, et la première réglementation est la loi du 3 janvier 1975 qui renforce la consultation des représentants du personnel avant la mise en œuvre des licenciements, et elle instaure un contrôle admin (inspection du travail) de la nécessité du licenciement. Il fallait jusqu’en 1986 une autorisation admin préalable pour licencier pour motif éco.
Les employeurs ont jugé cette procédure beaucoup trop contraignante, et ont milité pour une suppression de cette autorisation admin préalable. La loi du 30 décembre 1986 prévoyait que l’employeur pouvait licencier pour motif éco sans autorisation préalable.
Au fur et à mesure des années, le juge judiciaire est intervenu pour contrôler a posteriori les licenciements, et peu à peu, une jurisprudence assez dense et protectrice, s’est construite. Dans certains cas conduisait à des annulations de licenciement pour non-respect de certains éléments centraux de la procédure, notamment en cas d’insuffisance ou d’absence de plan social.
L’accroissement de cette intervention judiciaire a été jugé insupportable par les employeurs, et soutenus par les économistes libéraux, ils ont estimé que l’intervention du juge n’était pas pertinente, d’une part parce que les décisions étaient trop incertaines (insécurité juridique) et d’autre part les libéraux soutenaient que cette incertitude sur la validité des licenciements nuit aux anticipations rationnelles des employeurs, qui donc embauche moins parce qu’ils ne peuvent pas prévoir l’avenir. Ce discours fait de l’insécurité juridique, la cause du chômage.
Les pouvoirs politiques entendant ces critiques, ont modifié le droit du licenciement éco, par une loi du 14 juin 2013, loi pour la sécurisation de l’emploi. Le juge judiciaire est écarté dans le contrôle de la procédure, et est remplacé par un contrôle admin avec une autorisation préalable (qui elle va être contrôlée par le juge judiciaire).
Pour les règles de fond, le Juge Judiciaire est compétent (validité du licenciement, etc.) et pour les règles de procédure, pour les grands licenciements éco, c’est le Juge Administratif qui est compétent. Les modifications législatives n’ont en réalité touché que les grandes entreprises et moyennes entreprises.
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »
Article L1233-3 du code du travail
Régime du licenciement pour motif économique
• Le régime du LME s’applique à toutes les ruptures pour motif économique. Art L1233-3 al 2. Notamment départ amiable qui a lieu dans un contexte de difficultés éco ou mutations techno.
• Le régime du LME va s’appliquer à des ruptures pour motif éco, même si ces ruptures ne sont pas valables, notamment si le licenciement est sans CRS. Le défaut de CRS n’ôte pas au licenciement son caractère de licenciement pour motif économique (Ch. soc, 14 février 2007).
Comment savoir si la rupture relève ou non de ce régime ? Il faut se référer à l’art L1233-3 :
• Rupture non inhérente à la personne du salarié
• Licenciement qui constitue une suppression d’emploi ou transformation d’emploi.
Le licenciement pour motif économique justifié
Art 1233-3 : le Licenciement pour motif économique est justifié s’il résulte d’une modification ou suppression d’emploi, ou d’une modification refusée d’un élément essentiel du contrat de travail ; consécutive notamment à des difficultés éco ou mutations technologiques.
• Il faut un élément causal : une raison d’ordre éco ou technologique
• Un élément matériel qui touche l’emploi ou le contrat de travail
• Il faut que l’employeur ait recherché à reclasser le salarié, à défaut le licenciement n’est pas justifié.
L’élément causal et l’élément matériel dessinent la figure d’un employeur qui est contraint par l’environnement éco, comme s’il n’était pas présent dans le processus. Dans l’élément dégagé par la jurisprudence, l’employeur revient dans le processus : quand bien même il serait poussé à licencier par la conjoncture éco, il doit faire son max (obligation de moyens) pour retrouver dans son entreprise un poste pour le salarié.
Pour qu’un licenciement éco soit justifié, contrairement au licenciement pour motif personnel, il faut une raison d’ordre éco : l’art 1233-3 parle de difficultés éco et de mutations techno, mais la jurisprudence n’est appuyé sur le mot « notamment » pour ouvrir les raisons du licenciement. Ainsi on a 4 types de raisons fondant le licenciement :
• Les difficultés économiques sérieuses : une simple baisse du chiffre d’affaires ou des bénéfices ne suffit pas, la volonté d’améliorer les bénéfices ou de remettre en cause les droits acquis, ne constituent pas des motifs valables. Les difficultés économiques s’apprécient au niveau de l’entreprise toute entière, donc pas uniquement au niveau d’un service, ou d’un établissement. Mais si l’entreprise appartient à un groupe, elles s’apprécient au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise.
• Les mutations technologiques car les emplois de l’entreprise peuvent être bouleversés. Pour qu’elle justifie le licenciement, il faut que la mutation technologique soit sérieuse, c’est-à-dire importante, sinon la cause n’est pas sérieuse. Ainsi, la jurisprudence a considéré que l’introduction d’un nouveau logiciel peut constituer une mutation techno, comme l’introduction de l’informatique dans l’entreprise. Il faut procéder au reclassement des salariés et à leur adaptation avant de pouvoir prononcer un licenciement : c’est seulement si l’adaptation n’est pas suffisant que le licenciement sera justifié
• La réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité est créé par la jurisprudence avec l’arrêt fondateur Soc, 5 avril 1995, Thomson Tubes. Le risque pour la compétitivité de l’entreprise s’apprécie dans le secteur d’activité du groupe. Il y a une nécessité de restructurer maintenant l’entreprise sinon c’est la compétitivité de l’entreprise qui va être en péril. Il faut que la réorganisation prévienne des difficultés à venir et les conséquences sur l’emploi. Ce motif ouvre la voie à des licenciements économiques préventifs.
• La cessation d’activité : Quand l’entreprise ferme, quand la société est dissoute par ses actionnaires, les contrats de travail ne sont pas automatiquement rompus : les salariés doivent être licenciés. Entorse au droit civil où le contrat prend fin à la disparition d’un cocontractant. Ce licenciement qui fait suite à la fermeture de l’entreprise est un licenciement économique justifié par la cessation d’activité de la totalité de l’entreprise, sous réserve que cette cessation totale d’activité ne soit pas due à la légèreté blâmable ou à la faute de l’employeur. Remarque :
• Il faut que toute l’activité cesse et une disparition de l’employeur (= disparition du cocontractant).
• C’est un motif autonome de licenciement donc le licenciement est justifié quand bien même la cessation d’activité n’est pas due à des difficultés éco.
• Précision en cas de fermeture d’une filiale dans un groupe : dans ce cas, la jurisprudence a un peu modifié son appréciation de la cessation d’activité car même si l’employeur (filiale) disparaît, le groupe continue d’exister.
L’élément matériel du licenciement économique
L’art L1233-3 mentionne 3 effets sur l’emploi de la raison d’ordre éco ou techno :
• Une suppression d’emploi : disparition d’un emploi. Mais la suppression d’un ou plusieurs emplois peut être compensée par la création de nouveaux postes donc on peut avoir un licenciement justifié alors que le volume global des effectifs (salariés) augmente.
• Une transformation d’emploi : très peu utilisée car rejoint le 3e cas. Ici le poste de travail est modifié substantiellement. Souvent le cas du fait de mutations techno.
• Une modification refusée d’un élément essentiel du contrat de travail : l’élément causal a conduit l’employeur à proposer aux salariés une modification de leur contrat de travail modifié que des salariés ont refusé. L’élément causal conduit au refus par le/les salariés d’une modification d’un point essentiel de leur contrat de travail.
Certains éléments de l’emploi sont contractualisés soit expressément (contrat), soit par principe car la jurisprudence a décidé que les éléments les plus importants de la relation de travail faisaient partie du contrat.
Quatre éléments sont nécessairement contractuels :
• La qualification du salarié : quand on veut faire faire quelque chose au salarié, qui ne relève pas de sa qualification professionnelle ;
• Le lieu de travail, zone géographique, bassin d’emploi dans lequel se trouve le lieu de travail ;
• La durée du travail ;
• La rémunération.
L’employeur ne peut pas les modifier seul, il doit avoir le consentement du salarié. L’élément causal peut conduire à ce que l’employeur décide de modifier ces éléments contractuels. La modification d’un élément du contrat de travail peut être refusé par le salarié, c’est un droit, mais l’employeur peut licencier le salarié suite à ce refus. Ce licenciement est bien un LME qui a une CRS si la raison d’ordre éco ou techno est valable. Ex : décision de délocaliser la production.
Depuis la loi du 14 août 2013 sur la sécurisation de l’emploi l’employeur peut signer 2 types de conventions collectives qui vont avoir une influence sur le refus de la modification d’un élément du contrat de travail :
• Accord collectif de mobilité interne (entre employeur et syndicat) pour faciliter les réorganisation internes et vont permettre de modifier le lieu de travail et la qualification du salarié. Le salarié aura toujours un droit au refus mais l’existence de l’accord permet à l’employeur de justifier plus facilement le licenciement pour motif économique. L’existence d’un accord facilitera pour l’employeur la justification de l’élément causal à l’origine du licenciement. Les salariés licencié sont nécessairement licenciés selon les règles du LME individuel ce qui dispense l’employeur d’établir un PSE.
• Accord collectif de maintien de l’emploi qui permet de réduire ou d’augmenter la durée de travail voire la rémunération, en échange d’un maintien du niveau d’effectif de l’entreprise. Ces accords sont signés en cas de grave difficulté éco conjoncturel. Salarié peut toujours refuser mais l’existence d’un accord conduira le juge à admettre facilement la raison d’ordre éco ou techno. Le licenciement des salariés qui ont refusé la modif de leur contrat suit les règles du LME individuel.
Depuis la loi du 8 août 2016, loi Travail, introduit à l’art L2254-2 :
• Accords de développement et de préservation de l’emploi créés en raison de l’échec des deux précédents accords. Ils sont destinés à reprendre les accords précédents qui continuent à exister et à assouplir les conditions de recours à ces accords. Ces accords permettent de baisser la rémunération des salariés ou d’augmenter leur temps de travail temporairement. Il n’y a plus de conditions liées à l’existence de difficultés éco, il suffit que les accords visent bien à préserver l’emploi. Ces accords, qui sont très souples, ont à peu près les mêmes effets que les accords de maintien de l’emploi sauf que la CRS est automatiquement valable dès lors que le salarié a refusé la modification d’un élément de son contrat qui résulte de l’accord. Les salariés, qu’ils soient un ou mille seront licenciés selon les règles du licenciement individuel pour motif économique.
Recherche d’un reclassement
La recherche du reclassement dans un Licenciement pour Motif Economique n’est valable (doté d’une Cause Réelle et Sérieuse) que si l’employeur a recherché sérieusement le reclassement du salarié. Deux possibilités :
• soit la recherche sérieuse n’a pas abouti,
• soit l’employeur a proposé des offres sérieuses de reclassement, que le salarié a refusé. Le licenciement est valable après une recherche infructueuse ou le refus du salarié. Cette recherche de reclassement imposée par la jurisprudence puis par la loi, concrétise l’idée que le LME doit être l’ultime mesure.
La naissance de l’obligation de recherche de reclassement : C’est dans un arrêt du 25 février 1992, Expovit rendu par la cour de cassation que nait l’obligation de recherche de reclassement pour justifier le licenciement pour motif économique. Arrêts du 1 et 8 avril 1992 : l’employeur ne peut licencier qu’après avoir entrepris de reclasser le salarié. Cette jurisprudence sera consacrée par la loi et cette obligation est aujourd’hui à l’art L1233-4.
Remarques :
• Le reclassement doit être recherché avant le prononcé du licenciement.
• L’obligation ne pèse que sur l’employeur, donc le salarié peut tjrs refuser le reclassement.
• Il s’agit d’une obligation de moyens.
La teneur de l’obligation de reclassement
L’employeur doit proposer au salarié, des emplois disponibles de même catégorie que celui occupé par le salarié, avec une rémunération équivalente. A défaut si un tel emploi n’existe pas, l’employeur peut proposer des emplois de catégorie inférieure.
L’employeur doit également envisager les postes susceptibles d’être occupés par le salarié, qui nécessiteraient une formation d’adaptation. Formation courte qui ne doit pas avoir pour objectif de remédier au manque de formation initiale, et elle n’a pas pour objectif d’accéder à une qualification supérieure.
Dans quel périmètre l’employeur doit rechercher des postes disponibles ? L’art 1233-4 indique que l’employeur doit rechercher les postes disponibles dans l’entreprise. La jurisprudence continue de son coté à retenir une formule plus stricte : si l’entreprise appartient à un groupe, la recherche doit se faire dans les entreprises du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel : groupe de permutabilité -> incertitude perdure du fait de ces 2 conceptions.
Depuis la loi Macron, 6 aout 2015, l’employeur ne doit proposer que les emplois disponibles sur le territoire national. Pour les emplois à l’étranger, il faut que les salariés manifestent leur désir d’être reclassés à l’étranger. Art L.1233-4-1.
L’employeur doit procéder à une recherche effective et approfondie, l’employeur doit être diligent c’est-à-dire qu’un simple mail à toutes les entreprises du groupe ou une lettre circulaire ne suffit pas.
L’employeur ne peut limiter ses recherches en utilisant un questionnaire pour connaître les vœux des salariés : Soc, 4 mars 2009. Ex : salarié peut refuser un autre lieu géographique, sans connaître les caractéristiques de l’emploi possible, donc la jurisprudence cherche à proscrire cette pratique, pour donner toutes les cartes au salarié, pour qu’il fasse un choix en connaissance de cause.
Les modalités de proposition du reclassement
L’employeur doit émettre des propositions précises, concrètes et individualisées, en gros, adaptées à chaque salarié. Par conséquent, l’affichage ou l’envoi d’une liste de poste ne satisfait pas à l’obligation de reclassement.
L’offre doit être écrite (art L1233-4) et on considère que le salarié a un délai raisonnable pour répondre à l’offre. Le salarié peut toujours refuser les offres, ce qui constitue l’exercice de son droit et non un abus ou une faute. Dans la jurisprudence initiale, les obligations de reclassement et celle d’adaptation n’étaient pas bien distinguées et encore aujourd’hui l’art 1233-4 al 1 regroupe les deux obligations. L’obligation d’adaptation a 2 usages :
• L’employeur doit adapter le salarié au nouveau poste. Ainsi il doit proposer une formation complémentaire pour que le salarié puisse prendre de nouvelles fonction. Mais cette obligation n’impose pas à l’employeur de donner une formation qui le conduirait à une qualification nouvelle.
• Le seul manquement à l’obligation d’adaptation peut-il rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Peut-on rendre l’employeur coupable de l’obsolescence des qualifications du salarié ? Conception du cas humain, comme un actif de l’entreprise que l’employeur ne doit pas laisser se dépérir. Est-ce que l’employeur a l’obligation de maintenir l’employabilité de son salarié ? Notamment est-ce que licenciement pour mutation techno peut être justifié si l’employeur n’a pas respecté pendant des années ses obligation de formation (L6321-1 ? Il semble que la jurisprudence considère que le manquement à l’obligation d’adaptation ne permet pas de considérer le licenciement pour motif économique sans cause réelle et sérieuse.
• La jurisprudence est beaucoup plus ouverte pour un licenciement pour insuffisance pro : dans quelques arrêts la Cour a admis que était injustifié un licenciement de salariés qui n’ont jamais reçu de formation durant leurs contrat de travail.
On voit avec cette obligation que le licenciement pour motif économique n’est pas un acte unilatéral dans toute la simplicité que lui confère le droit civil. Ce n’est pas un acte qui en un trait de temps, rompt le contrat de travail. Le licenciement est un processus qui commence par le fait d’envisager une suppression de poste et qui se finit par la rupture. Dans ce processus, vient se nicher une obligation de reclassement qui n’est pas qu’une obligation procédurale mais qui intervient sur la validité du licenciement. Pour certains auteurs, le licenciement n’est pas un acte mais une décision c’est-à-dire une catégorie juridique qui permet d’englober une procédure et un acte de fond.
On voit que dans la justification du licenciement que l’employeur a une face passive (comme s’il était contraint par la cause éco) et une face active avec l’obligation de reclassement.